Comment les didacticiels échouent à enseigner - En Bref
Quelles sont les limites des didacticiels ? Et, quelles sont les autres formes d'apprentissage à disposition pour mieux guider les joueurs et joueuses dans leur expérience ?
Cette publication traite des différentes formes que peuvent prendre les tutoriels1 dans un jeu.
Le sujet est souvent intuitif chez les développeurs et développeuses, mais peu discutées en détail. Dans cette publication, l’analyse des différentes formes est approfondie pour en tirer des leçons et étendre le vocabulaire utilisé pour les décrire.
L’utilisation d’un vocabulaire plus étendu permet d’installer des nuances dans les discussions et de clarifier les situations lors d’une production.
Source
The Architect of Games | Septembre 2023
Adam Millard : Vidéaste essayiste sur le jeu-vidéo depuis 7+ ans
Sommaire
Pourquoi les didacticiels ne fonctionnent pas.
Un didacticiel2 dans “Magic: The Gathering Arena” peut transmettre les règles et la structure globale du jeu, mais n’est pas suffisant pour enseigner les compétences nécessaires pour analyser l’état d’une partie ou quelles cartes synergisent dans un paquet.
Une simulation de vie comme “Stardew Valley” pousse vers une expérience de jeu ‘cozy’ mais jouer avec les pages du wiki devient nécessaire pour comprendre les mécaniques principales et comment récupérer des ressources essentielles à la progression.
Tous ces jeux ont des didacticiels, mais échouent à enseigner comment réellement jouer.
Didacticiel

Les didacticiels sont bons pour transmettre un type d’information particulier, en la communiquant directement aux joueurs et joueuses. Des informations comme les objectifs ou des données indépendantes : les contrôles, les règles, les interactions.
C’est pour cela qu’ils fonctionnent bien sur les jeux de plateformes. Il y a souvent peu de stratégies ou concepts complexes, tout ce qui est nécessaire de savoir est à l’écran et fonctionne de façon prédictible.
+ Les didacticiels sont bons pour :
Expliquer des interactions simples,
Communiquer les objectifs,
Apprendre les b.a.-ba.
- Les didacticiels sont mauvais pour :
Transmettre une large quantité de données de façon efficace,
Construire sur des connaissances existantes,
Expliquer des concepts qui requièrent des connaissances plus abstraites ou intuitives.
Aucun didacticiel ne permet de savoir quel est le meilleur cadeau pour Makoto dans “Persona 5”, comment contrer une attaque de Zergling sur “Star Craft” ou déchiffrer les règles des puzzles dans “The Witness” car ce sont des problèmes qui requièrent une compréhension plus large ou nuancée que les didacticiels seuls ne peuvent fournir.
Ces derniers sont pourtant devenus omniprésents, car les développeurs ont appris à bien les faire, au détriment d’autres méthodes, menant à leur sur-utilisation jusqu’à essayer d’enseigner des concepts et techniques qu’ils ne sont pas adaptés à expliquer correctement. Créant ainsi un ressentiment contre l’ensemble des didacticiels de la part d’un public peu éduqué à reconnaître et poursuivre d’autres formes d’apprentissages.
Quelles sont les alternatives possibles ?
Méthodes alternatives
Les méthodes alternatives pour enseigner le jeu aux joueurs et joueuses sont caractérisées par 3 formes d’apprentissage : l’apprentissage par la découverte, par la recherche et par l’acclimatation.
1. Découverte (ou expérimentation)

L’apprentissage par la découverte est la méthode la plus familière après les didacticiels, plusieurs jeux utilisent les processus d’expérimentations comme part intégrante du ‘fun’ de leur expérience. Se poser une question et trouver soi-même la réponse est une activité récompensant en soi.
+ La découverte est bonne pour :
Faire de l’apprentissage un défi amusant,
Encrer une information sur le long terme par l’expérience,
Développer une compréhension poussée d’un concept précis.
Un jeu comme “Portal”, grâce à son enrobage scientifique, utilise le ‘fun’ de la découverte pour transmettre des informations complexes sur son environnement, sans donner de directives aux joueurs et joueuses. GLaDOS ne donne aucune réponse avant que les joueurs et joueuses n’aient trouvé la solution par eux-mêmes.
De la même façon, le jeu de puzzle “LOK Digital” prend le temps de proposer des niveaux impossibles à résoudre pour faire intégrer les mécaniques du jeu plutôt que de les expliquer.
- La découverte est mauvaise pour :
Garantir l’assimilation d’une leçon.
Dans le cas de “Super Metroid”, la plupart des joueurs et joueuses se sont retrouvés bloqués à cause de la ‘Power Bomb’ car son utilisation n’est pas évidente et il n’y avait pas d’indices qui incitaient à l’utiliser sur les tubes de verre.
Comment pallier le problème ?
Pour éviter les erreurs de communication, les jeux qui privilégient la découverte doivent savoir quand lâcher prise et quand donner directement les bonnes informations.
“Elden Ring” ne guide jamais les joueurs et joueuses dans le monde, car il est facilement parcourable et cela permet de créer une connexion plus personnelle aux différents lieux. Cependant, les placements des points de sauvegardes sont disséminés le long du chemin principal pour s’assurer que les joueurs et joueuses se dirigent globalement dans la bonne direction.
“TUNIC” fait reposer son apprentissage presque entièrement sur le décryptage du manuel de jeu. Chaque page devient un puzzle à résoudre, ce qui rend l’apprentissage beaucoup plus mémorable sur le long terme. Mais, pour s’assurer que les joueurs et joueuses ne soient jamais complètement perdus, le manuel utilise délibérément des mots de la langue courante à la place des certaines runes sur des éléments peu intuitifs, difficiles à découvrir par soi-même ou des informations obligatoires pour la progression.
Par exemple, le mot “lanterne” apparaît sur la page de la crypte pour indiquer sa nécessité. Utiliser seulement le pictogramme aurait risqué que les joueurs et joueuses passent à côté de l’information.
2. Recherche

Dans l’objectif d’avoir une compréhension générale d’un jeu, en particulier ceux avec différents systèmes et mécaniques qui fonctionnent en parallèle, il faut parfois que les joueurs et joueuses aillent chercher les informations qui leur manque par eux-mêmes.
Dans cette optique, les développeurs peuvent les assister en rendant accessibles ces informations.
Un contre-exemple serait les débuts de “The Binding of Isaac” où il n’y avait aucun moyen de connaître les effets de l’objet que l’on s’apprêtait à ramasser, ce qui a pour risque de ruiner la stratégie actuelle par manque d’informations.
+ La recherche est bonne pour :
Développer une large base de connaissances,
Rendre autonome les joueurs et joueuses dans leur utilisation d’informations importantes.
La présence d’un mode entraînement ou de bots permet de pratiquer les mécaniques et appliquer les connaissances avant de se lancer dans le grand bain. Et, pour un jeu sans ces modes, un accès transparent à ces informations en jeu permet également d’améliorer l’enseignement du jeu.
- La recherche est mauvaise pour :
Approfondir la compréhension intuitive des systèmes d‘un jeu,
Offrir des compétences pratiques de ‘gameplay’.
Aujourd’hui, les manuels de jeux sont dévalorisés, car une compréhension académique d’un jeu ne permet pas d’apprendre en pratique les fonctionnements d’un jeu ou les compétences fondamentales pour les supporter.
3. Acclimatation



L’acclimatation consiste à graduellement introduire de nouveaux concepts, de doucement itérer sur des mécaniques existantes et stratégies pour développer une compréhension intuitive au fil du temps.
Un exemple d’utilisation d’acclimatation se retrouve dans le Pays des Sables de “Mario Odyssey” qui propose de prendre possession des roquettes, tout au long du niveau, pour les faire slalomer entre des obstacles de plus en plus difficiles dans le but de savoir déjà utiliser la mécanique lorsque l’on affronte le ‘Boss’ du niveau.
+ L’acclimatation est bonne pour :
Créer une compréhension intuitive des mécaniques,
Servir d’enseignement non intrusif pour l’expérience.
Le mode campagne d’un jeu de stratégie en temps réel sert souvent à discrètement préparer les joueurs et joueuses pour les affrontements en multijoueur.
La même chose peut être faite sur le plan psychologique, un jeu de survie horreur comme “Resident Evil 4” va monter la difficulté tôt dans le jeu pour vous convaincre que manquer de vie et de munitions ne veut pas dire que vous perdez et est complètement normal.
Le tutoriel de “XCOM: Enemy Unknown” va tuer la plupart de vos bleus pour montrer qu’ils sont remplaçables et vous préparer à la perte permanente d’unités dans le futur.
NOTE : Une aventure comme “Celeste” va débloquer les compétences au fur et à mesure de la progression du jeu pour laisser le temps de bien se familiariser avec les mécaniques.
- L’acclimatation :
N’est pas applicable à tous les jeux,
Est un procédé dont le temps nécessaire varie en fonction des personnes.
Un jeu Paradox peut difficilement se permettre d’omettre des mécaniques pour faciliter son apprentissage, car tout leur jeu fonctionne sur des systèmes imbriqués.
Mélanger les sources d’enseignements
NOTE : Du point de vue des joueurs et joueuses, l’apprentissage n’est pas confiné à un seul environnement. Ils et elles ont plusieurs moyens d’apprendre un jeu ou un genre.
1. Les méthodes d’enseignement
Avoir connaissance des forces et faiblesses de chaque méthode permet aux développeurs et développeuses d’utiliser leurs forces et pallier les faiblesses en variant l’utilisation des méthodes.
2. Les autres jeux
De la même façon, certaines connaissances peuvent être acquises depuis des jeux similaires.
Certains jeux inaccessibles nécessitent parfois de jouer à d’autres jeux, plus abordables, qui vont créer des fondations qui seront utilisables plus tard dans des jeux plus complexes ou opaques.



Un jeu comme “Magic: The Gathering” est difficilement approchable comme beaucoup d’anciens jeux de cartes à collectionner, mais aujourd’hui, il existe des jeux comme “Hearthstone “, “Marvel Snap” ou “Slay the Spire” qui permettent de se lancer directement dans le ‘fun’ tout en apprenant progressivement les tenants et aboutissants d’un jeu de carte à collectionner. Ces connaissances transversales peuvent ensuite s’appliquer à des jeux plus complexes.
La série des ‘Pikmins’ peut donner un avant-goût de certains concepts pour les jeux de stratégie en temps réel.
“My Friendly Neighborhood” reprend les caractéristiques des jeux de survie horreur comme la série des ‘Resident Evil’ mais en retirant toute forme de gore et proposant un ton presque humoristique.
NOTE : Avoir analysé avec précision les prérequis nécessaires pour jouer au jeu que l’on développe permet de mieux prévoir les besoins futurs des joueurs et joueuses. Ce qui donne la possibilité d’affiner le choix de la cible et de la communication du jeu, ainsi que de savoir sur quels éléments les tutoriels devront se concentrer pour améliorer l’expérience.
3. Les communautés
Les ressources communautaires peuvent aussi servir d’options d’accessibilité. Les joueurs et joueuses peuvent les utiliser pour s’enquérir sur des informations spécifiques ou demander des conseils à la communauté. Leur demande servira de filtre sur la quantité d’informations qu’ils jugent nécessaire à apprendre avant de continuer à jouer.
Cela peut aussi être utile aux développeurs qui n’ont pas le budget pour maintenir eux-mêmes un espace d’information.
Certains jeux ont même gagné en popularité grâce aux partages communautaires des découvertes faites en jeu. Être opaque est parfois un choix volontaire qui peut être considéré.
Mot de la fin
AVIS : De mon point de vue, l’apprentissage des mécaniques n’est pas quelque chose qui doit uniquement être réfléchi et réalisé en fin de production, dans le but de créer un segment d’introduction en début de jeu. Mais bien, un effort collectif qui peut être considéré sur toute la production (au cas par cas selon le budget du projet) ; que ce soit dans la progression du jeu, ses niveaux de difficultés, son interface, la communication, etc. dans le but de faciliter l’expérience des joueurs et joueuses sur tous les plans du jeu.
Apprendre ne se limite pas à recevoir des informations. C’est une compétence qui se cultive et se forme au fur et à mesure. Chacun, chacune possède une affinité différente à son égard.
En insistant sur une seule forme d’enseignement, les jeux laissent derrière eux les joueurs et joueuses qui n’ont pas la patience ou la compréhension de cette méthode et, ironiquement, ne leur permettent pas de développer la capacité d’apprendre à apprendre. Ce qui les rend moins autonomes à essayer de se renseigner via d’autres méthodes dans le futur.
Voici la fin de cette publication. J’espère que ce vocabulaire vous sera utile.
Merci pour votre lecture !
Remerciements à Victor pour la relecture.
Tutoriel : Ensemble des éléments et situations servant à enseigner les fonctionnements d’un jeu.
Didacticiel : Guide d’apprentissage par étapes servant à enseigner les règles, contrôles ou mécaniques d’un jeu. Généralement sous la forme de textes ou d’écrans.